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Être

Nuit. 1h30.

Assises dans le bureau, nous revenons sur ce qui vient de se passer.

Vous étiez venue pour mélancolie et catatonie, cet état de totale rigidité. C’est simple, rien ne bouge, rien ne change. Le monde actif autour de vous vous laisse totalement indifférente. Impossible pour nous de savoir si vous dormez, si vous nous entendez. Bon, on voit votre cage thoracique en mouvement, cachée sous vos mains posées sur votre poitrine. C’est bon, vous respirez !

Mais ce soir là, moment de tous les possibles, vous vous réveillez ! Les yeux grands ouverts, comme exorbités ! Dans ma tête, je pense Dracula, Coppola, vampire. Vos cheveux longs et noirs qui entourent votre visage. Votre corps étendu, les bras courant le long.

Instinctivement, je me présente. Vous vous demandez, me demandez ce que vous faites là. D’ailleurs, où êtes-vous là ? Et vos filles ? Votre mari ? Et votre travail ? Et cette odeur ? Euh, alors oui, 3 jours que vous êtes avec nous et qu’il est impossible de vous parler et de vous mobiliser, ça sent effectivement le fauve… mais ça va s’arranger !

Avec votre autorisation, je m’assieds à vos côtés, sur le bord de votre lit. Je réponds à vos questions, vous montre l’unité. Bref, après cet entretien et un traitement, vous voilà prête à vous rendormir.

Alors, avec ma collègue, on en parle. Pourquoi cet entretien a été possible à ce moment ? Pourquoi avec moi ? Certes votre état s’améliore, vous aviez pu demander du jus de pomme aux collègues du soir. Vous aviez été capable alors d’avoir envie, de parler, d’interpeler. Et vous avez bu ! On est donc loin du corps figé et immobile !

Alors, ma collègue me dit « tu as su être. Être là. La dame a senti ta disponibilité, ta volonté, ton attention. Elle a senti que tu étais là pour elle. Tu as lu son histoire, su pour le jus de fruits. Elle a senti tout ça, qu’elle existe pour toi, qu’elle existe ».

Ce serait ça aussi notre métier, en psy ? Être pour que l’autre Être puisse être? Du temps et de la disponibilité. Se rendre présent pour l’Autre ?

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